Le 26 septembre 1959, le lendemain de Noël, un homme s'aventure dans les rues sombres de Londres. Soudain, un cri déchire le profond silence...
31 mars 1959, à la veille du réveillon, Elisabeth Ferrety achète sa dinde au marrons, comme à l'accoutumé. Pourtant elle ne se doute pas que ce soir, pour la première fois, elle ne passera pas le réveillon du nouvel an à Paris avec sa famille. En effet, de retour à son bureau, son patron l'interpelle en lui remettant son billet de train pour Londres. Evidemment, devant le silence de son patron, elle ne peut s'empêcher de lui demander en quelle occasion elle doit passer le nouvel an à Londres, ville qu'elle ne connaît pourtant pas. Il lui explique qu'un affreux drame a eu lieu dans "Manhatan street" mais qu'elle se rendra compte des faits sur place. Plusieurs heures plus tard, Elisabeth se retrouve à la gare de Londres. Elle achete un journal à un pauvre petit gamin sans le sou et lit en première page : " Une femme éventrée a été trouvée morte sur Manhatan street". Elle s'empresse d'aller sur les lieux du crime ou elle ne découvre rien à part une trace de craie sur le sol démontrant la silhouette d'une femme étendue par terre, les bras relevés. Elle se renseigne autour d'elle pour avoir quelques renseignements sur le crime, mais ne puise de ses anglais que des rumeurs invraisemblables. Elle prend quelques notes et veut retourner à Paris pour faire son article lorsque deux jours plus tard on découvre un femme éventrée, près du port. Après ce deuxième meurtre, Elisabeth préfére rester quelques jours sur les lieux du drame. La façon dont ces deux femmes sont mortes laisse à supposer que leur assassin est la même personne. Mais pour quel motif tuerait-il ces femmes ? Elisabeth ne trouve aucun rapport entre ses deux femmes: l'une était jeune, l'autre vieille, l'une était tisserante, l'autre ne travaillait pas. Elisabeth est attirée par le fait que la vieille femme boitait depuis sa naissance. Elle demande au mari de l'autre si sa défunte avait un handicap. Il lui répond que non, mais qu'après un accident de cheval, sa femme boitait légèrement du côté droit. Elisabeth met dans les journaux que toutes les femmes boitant doivent rester chez elles, jusqu'à l'arrestation du meurtrier.
Le commissaire emploie six jeunes femmes qui ont reçu, dans les écoles de polices, un entraînement particulièrement poussé à toutes les techniques de combat. Après un nouvel entraînement, le commissaire leur demande de s'entraîner à boiter et de, tous les quarts d'heure, se signaler par radio.
Elisabeth, rentre chez elle, mais malheureusement, les autobus sont bondés et elle préfére rentrer à pieds. Elle utilise un raccourci par un petit terrain vague. Il fait noir, il pleut, mais Elisabeth n'a pas peur, et surtout pas de cet assassin qui rôde dans Londres en quête d'un boiteuse, de toute façon, elle ne boîte pas. Elle ne veut pourtant pas s'éterniser ici, elle presse le pas et pousse un petit cri, tandis qu'elle s'étale de tout son long.... Elle vient de buter contre une grosse pierre qui lui a fait perdre l'équilibre, elle se relève et pousse un cri de douleur, son pied droit lui fait atrocement mal : elle s'est certainement foulée la cheville. Elle essaie de faire quelques pas, mais la douleur est intolérable . C'est tellement idiot, tellement inimaginable, tellement épouvantable: elle boîte!
Soudain, elle entend le bruit d'un pas d'homme qui s'avance vers elle. Instinctivement, elle s'arrête de marcher, ou plutôt de boiter. Le cauchemar commence. Elle reste immobile, comme une statue, sous la neige.Iil y a un instant, elle n'avait aucune raison de redouter le tueur, alors que maintenant, tout vient de basculer, d'une manière aussi brutale que stupide. Elle n'ose détourner la tête. L'homme est maintenant tout près, elle sent son souffle dans l'air froid tout en fixant désespérément l'horizon devant elle. L'inconnue prend la parole:
- Bonsoir.
Elisabeth Ferrety se retourne. Il a environ son âge. Il est bien habillé, élégant même: un pardessus de bonne coupe, un foulard en soie blanche. Il a les cheveux courts et porte de petites lunettes." Un gentleman, pense-t-elle. Je n'ai aucune raison de m'inquiéter. Au contraire, il va m'aider, je vais lui dire ce qui m'ait arrivé et lui demander de me protéger..."
L'homme la regarde avec un léger sourire. Elisabeth, toujours immobile, sent la sueur l'envahir malgré le froid. Non, il n'a rien de rassurant, bien au contraire. Combien elle aurait préféré avoir devant elle un blouson noir avec les cheveux gras et une chaîne de vélo dépassant de sa poche! Lui au moins, il aurait eu sa place dans le décor. Mais que fait dans ce terrain vague, la nuit, sous la pluie, cet homme distingué...? Il n'y a qu'une réponse.
-Que regardez-vous, madame?
Elisabeth lève les yeux vers l'homme.Iil est blond, elle ne l'avait pas encore remarqué. Il a l'air très doux...trop doux. Elle répond d'une voix qu'elle veut enjouée:
-Eh bien, je regarde devant moi!
-Devant vous, c'est l'usine à gaz....
Elle regarde vraiment devant elle, ce qu'elle n'a pas fait jusqu'a présent. Effectivement, elle est en train de contempler l'usine à gaz de Coventry.
La voix est toujours ironique mais avec une pointe d'impatience.
-Vous allez rester longtemps comme ça?
-J'ai tout mon temps!
-Vous avez remarqué que vous avez les pieds dans une flaque d'eau?
Elisabeth baisse la tête.
-Non, je n'avais pas remarqué.
- Et vous n'avez pas remarqué qu'il pleut? Vous n'avez pas remarqué que vous avez fait tomber votre sac par terre?
Elisabeth ne trouve plus rien à répondre. L'homme la fixe dans les yeux.
-Marchez!!
Elisabeth sait que si elle obéit, elle est perdue. Peut-être ne l'a-t-il pas vu boiter vraiment, en a-t-il eu seulement l'impression. Elle ne doit bouger à aucun prix!
-Je ne peux pas!
-Et pourquoi? Tout le monde marche. A moins que.... vous ne marchiez pas comme les autres.
Le danger de mort paralyse ou stimule selon les individus, heureusement pour elle, Elisabeth fait partie de la deuxième catégorie. Elle se sent devenir incroyablement lucide....il faut parler! Il faut gagner du temps, elle ne sait pas de quoi, mais le temps c'est la survie, la vie!
-Je plains ce malheureux dont on parle à la radio. Quelle terrible idée de tuer des femmes un peu après Noël!
-Malheureux? Pourquoi malheureux?
-Parce qu'il faut l'être beaucoup pour songer à tuer quelqu'un.
L'homme ricane:
-Ca dépend qui on tue, il ya des être qui ne mérite pas de vivre! Des créatures qui remuent en marchand: c'est laid!
Elisabeth jette à l'homme un regard désespère. Mais ce dernier répète avec une politesse plus inquiétant que tout:
-Marchez, s'il vous plaît.
Cette fois, il n'y a plus d'échappatoire. Elisabeth joue sa dernière carte. Elle se laisse tomber à terre et montre son pied droit enflé.
-Je me suis tordu la cheville. C'est un accident. Je ne suis pas une vrai boiteuse.
L'homme perd sa tranquillité et commence à s'énerver:
-Marchez!
L'homme sort un long couteau de dessous son pardessus.
-Levez-vous et marchez comme tout à l'heure, vous aviez si bien commencé...
Elisabeth continue à réfléchir avec la même lucidité, le fait de voir une femme boiter déclenche chez cet homme une sorte de délire érotique qui doit se conclure par le crime. En cet instant précis, il est dans cet état d'excitation, elle sait que si elle marche, il la tuera, elle a donc d'une certaine manière une sorte de pouvoir sur lui. En ne bougeant pas, en se refusant à son désir, elle reste maîtresse de la situation.
-Non, je regrette je n'ai pas envie.
L'assassin se met à changer de visage. Il se fait implorant, impatient, comme un petit garçon avec qui on refuse de jouer.
-Je vous en prie marchez, c'est Noël, il faut que je rentre chez moi, ma femme et mes enfants m'attendent...
-Parce que vous avez une femme et des enfants?
-Mais oui, marchez, je vous en prie.
-Non, parlez-moi de vous d'abord.
Et le tueur commence à raconter sa vie, sous la pluie, face à l'usine à gaz. Elisabeth n'écoute pas, elle répond par monosyllabes , elle attend le miracle qui doit la sauver... Enfin, ce n'est pas possible! La police quadrille toute la ville, comment peut-elle négliger ce terrain vague qui est un vrai coupe-gorge? C'est alors qu'une silhouette s'avance sur le chemin: celle d'une femme qui boîte! L'homme quitte alors Elisabeth pour se précipiter sur elle, couteau en main. On entend plus que d'affreux hurlements qui alertent une patrouille de police. Deux heures plus tard, Elisabeth se trouve au commissariat de police et explique son histoire. Puis, le matin, elle reprend son train en direction de Paris où elle va écrire son article qui promet d'être juteux. Elle repense à cette histoire en se disant qu'entre la vie et la mort, il suffit parfois de très peu de choses.
FIN